(l’Écriture seule),

la sola scriptura
Comme tous les chrétiens, les Réformateurs reconnaissent l’autorité souveraine de la Bible en matière de foi. En affirmant le principe réformateur du « sola scriptura » (l’Écriture seule), ils veulent dégager la Bible de tout ce qui l’encombre. Ils suscitent une nouvelle façon de la lire.

Les Réformateurs et la Bible

Luther, étude de la Bible
Luther, étude de la Bible © Collection privée
Après avoir suivi des études très poussées, imposées par les supérieurs de son ordre religieux, le moine augustin Luther est nommé professeur d’Écriture Sainte à l’université de Wittenberg. Contrairement à une idée reçue, la Bible était lue et commentée largement dans de l’Église catholique. C’est en étudiant et commentant les épîtres de Paul que Luther perçoit l’évidence réformatrice du « sola gratia« , la grâce seule : le salut de l’homme ne dépend pas des œuvres de l’homme comme l’enseigne l’Église catholique mais uniquement de la grâce de Dieu. C’est là, la rupture essentielle de Luther qui va être reprise par tous les autres Réformateurs. Le « sola gratia « est pour Luther la condition d’une bonne lecture de l’Écriture. Il ouvre l’intelligence de l’Écriture. Il conduit au « sola scriptura ».

De son côté Ulrich Zwingli, le Réformateur de Zürich, met en première place la manière de lire l’Écriture : quelle en est la bonne interprétation, comment la comprendre avec exactitude ? Pour lui et tout le courant réformé, le « sola scriptura » devient le premier moteur de la Réforme.

Que signifient ces deux mots latins que l’on peut traduire par : l’Écriture seule ? Par le mot : Écriture, on entend la Bible, le texte de référence en matière de foi de tous les chrétiens. Ce n’est pas la Bible qui est une originalité de la Réforme, mais le mot » seule ».

L’Écriture sans l’interprétation de l’Église

Dès le IVe siècle Saint Augustin écrit que la Bible est la règle et la norme suprême. Mais il ajoute que c’est l’Église qui définit le sens exact de l’Écriture et en donne la bonne interprétation. Au XVIe siècle, Cajetan, le représentant du pape qui s’oppose à Luther, déclare que toute interprétation doit se trouver en consonance avec les commentaires antérieurs et avec la doctrine de l’Église.

Que répond Luther ? Que l’instance habilitée à interpréter l’Écriture est « la conscience liée par la Parole de Dieu ». Luther opère une rupture révolutionnaire non pas en proclamant l’autorité de la Bible que tout le monde reconnaissait mais en contestant que la Bible et l’interprétation traditionnelle forment une unité indissociable. Il brise cette unité, il oppose l’Écriture à l’Église. C’est un des sens de la « sola scriptura », la Bible sans l’interprétation de l’Église. L’interprétation de la Bible au XVIe siècle est devenue critique, critique de l’institution ecclésiale. La lecture protestante de la Bible conduit à réformer l’Église.

Retour au sens littéral de la Bible sans l’interprétation allégorique

Ulrich Zwingli (1484-1531)
Ulrich Zwingli (1484-1531) © Musée de la Réformation Genève
Les Réformateurs rejettent l’exégèse allégorique très en vogue à la fin du Moyen-âge. Par exemple le mot Jérusalem, au sens allégorique, signifie l’Église et non la ville de Judée comme au sens littéral. Il peut aussi signifier l’individu ou le Royaume de Dieu. Selon le sens que l’on choisit de privilégier, la portée d’un texte biblique varie considérablement. La recherche du sens allégorique permet des interprétations très fantaisistes. Le Réformateur Zwingli est le premier à se poser la question du sens exact du texte biblique. Suivant en cela les Humanistes, il prône une exégèse scientifique, recherchant le sens littéral, le sens naturel. Le principe du « sola scriptura » signifie aussi : le sens historique ou littéral seul, sans le sens allégorique dans lequel les Réformateurs discernent un manque de sérieux intellectuel.

L’apport de l’imprimerie : la Bible plus accessible

Bible de Gutenberg à 36 lignes
Bible de Gutenberg à 36 lignes © Société Biblique
L’invention de l’imprimerie joue un rôle considérable. Elle rend possible cette nouvelle manière de se référer à la Bible. Le premier livre imprimé par Gutenberg, c’est une Bible en latin. Par rapport au manuscrit, copié à la main, le livre imprimé est produit plus rapidement et revient beaucoup moins cher. Cela permet de répandre beaucoup plus largement le texte écrit de la Bible, même s’il reste limité à une population lettrée et relativement fortunée. Le public du Moyen-Age n’avait accès à la Bible que par la liturgie de la messe en latin et les homélies, les sculptures et peintures des églises ou les pièces de théâtre jouées devant le parvis des cathédrales à l’occasion de Noël ou de Pâques. C’est-à-dire que la Bible était toujours interprétée par le clergé ou figurée par les artistes. Avec la Bible imprimée, le public qui sait lire a accès au texte lui-même, débarrassé des interprétations qui s’y mélangeaient. C’est une grande révolution.

L’apport de la tradition

On comprend souvent le « sola scriptura » comme signifiant la Bible sans la tradition de l’Église. En fait, les Réformateurs n’entendent pas faire table rase de la Tradition et des siècles de réflexion et de méditation de l’Écriture. Ils sont de bons connaisseurs des Pères de l’Église qu’ils citent volontiers pour étayer leurs thèses, en particulier Saint Augustin. La tradition est pour eux un auxiliaire très utile mais qui n’a pas la même autorité que la Bible.

Le « sola scriptura » ne signifie pas : nous ne voulons connaître aucun autre livre que la Bible mais seule la Bible a pour nous une autorité décisive. Elle doit cependant être interprétée grâce à la prédication.

L’apport de l’humanisme : des outils pour une bonne traduction

Les Humanistes ont une approche scientifique et critique des textes de l’Antiquité. Ils cherchent à établir le meilleur « texte source », c’est-à-dire le texte le plus fiable dans la langue originale, après comparaison des divers manuscrits. Cela nécessite une bonne connaissance des langues anciennes. Ces outils intellectuels sont utilisés aussi pour l’étude de la Bible.

La plupart des Réformateurs ont été à l’école des humanistes et vont donc utiliser leurs méthodes. Ils revendiquent un savoir et une compétence pour expliquer et commenter la Bible dans la prédication. Calvin demande qu’on utilise les dictionnaires, les grammaires, les commentaires existants, que l’on consulte les textes dans leurs langues originales. Il appelle à une lecture des textes à la fois savante et croyante.

Pour Calvin, il faut comprendre la Bible en la replaçant dans son contexte : en inspirant les auteurs de la Bible, le Saint Esprit s’est conformé aux connaissances des hommes de leur temps. Il faut donc mettre le lecteur en relation avec l’environnement et l’époque de la rédaction des textes bibliques qu’il lit.

Dans l’esprit des Humanistes du XVIe siècle, le savoir ne s’oppose pas à la clarté. Il ne fait pas appel à des secrets ou à des mystères comme les lectures allégoriques ou mystiques. Le savoir humaniste procède par des argumentations que chacun peut comprendre. Le prédicateur doit donc expliquer, prouver, convaincre. En partageant son savoir avec le peuple, il doit répandre la culture théologique qui n’est plus réservée aux seuls clercs.

De plus en favorisant la lecture de la Bible dans les langues d’usage, les humanistes et les Réformateurs ouvrent un accès beaucoup plus aisé au texte biblique.

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Le protestantisme est un anti catholicisme.

De même que la révélation octroyée à Paul menacé le judaïsme palestinien, de même la révélation accordée à Luther menaça le catholicisme romain.

Wilfred Monod, la nuée de témoins ,1929

Dans le langage courant, « protester », cest « êtres contre». « Le protestant », contre qui, contre quoi s’oppose-t-il ? Pour les Français, marqués par la culture catholique, il n’y a guère de doute : c’est contre le catholicisme que l’identité protestante s’est construite. Contre le pape, contre le culte des images, contre le culte à la vierge Marie, contre le célibat des prêtres, contre la sacralisation d’une institution. Il est vrai qu’historiquement, le mot « protestant » a commencé à être employé après la seconde diète de Spire (1529) durant laquelle les princes luthériens du Saint empire avaient exprimé leur « protestation » contre les décisions de la majorité catholique : « nous protestons devant Dieu (…) Ainsi que devant les hommes (…) Que nous le consentons ni n’adhérons (…) Au décret proposé dans toutes les choses qui sont contraires à Dieu, à sa sainte parole, à notre bonne conscience, au salut de nos ames, et au dernier décret (de la première diète de Spire, en 1526).

L’église catholique, « une sainte apostoliques et romaines), après donc bien comme le modèle contre lequel le protestantisme s’est défini.

Tous réformateurs tel Martin Luther (1483 – 1546), Jean Calvin (1509 – 1564) Ulrich Zwingli (1484 – 1531), Martin Bucer (1480 – 1551) et tant d’autres, sont eux-mêmes issus de l’église romaine de l’époque.

Luther n’était autre qu’un moine Augustin d’Erfur, tourmenté par son salut, Zwingli était curé à Zurich tandis que Calvin avait pour père Girard Cauvin, secrétaire épiscopale puis procureur du chapitre de la cathédrale de Noyon. Brucer, lui, sera rattaché à l’ordre des dominicains, qui quitta en 1521. C’est une critique interne de leur propres tradition religieuse qu’ est né le désir de la « réforme », de « réformation » d’une église trop éloignée des enseignements bibliques. La démarche initiale des réformateurs n’était pas de quitter leur église d’origine : aucun d’entre eux n’avait pour l’idée de créer le « protestantisme » ! Mais les oppositions auxquels ils se heurtèrent les conduisirent à la rupture, les déchirants le manteau de la chrétienté médiévale au nom d’une nouvelle manière d’être chrétien.

Symboliquement en 1520 , trois ans après que Martin Luther à rédiger ces fameuses 95 thèses contre les indulgences, que cette fracture s’est ouverte. Cette année-là, Luther condamné par le pape qui lui donne 60 jours pour se soumettre, brûle la bulle exsurge domine (15 décembre).

Excommunié le 3 janvier 1521, il excommunie en retour le pape, consacrant la rupture avec l’église catholique.

Dans la première moitié du XVIe siècle trois grands courant structurent cette « protestation » : – la réforme anglicane, compromis insulaire entre le catholicisme (copiésur le sa liturgie) et le calvinisme (choisi comme Orientation théologique), – la réforme m’agisterielle luthériennes et calvinistes, appelé ainsi car soutenu par les « magistrats », conseil urbain et princes, – enfin la réforme dite radicale frange rebelle aux lourdes structures dans l’encadrement, porté par l’anabaptiste et le spiritualisme, favorable à la rupture entre religion et politique. Dans sa diversité, le protestantisme qui s’affirma alors diffère du catholicisme sur trois terrains.

Un nouveau rapport entre Bible, institutions et individu.

Dans le domaine théologique, le protestantisme affirme la nécessité d’un retour à l’écriture relativisant la référence à la tradition chrétienne. Cette revendication, exprimée au travers du principe du sola Scriptura(l’écriture seule), s’est traduite par de multiples écarts par rapport à l’enseignement catholique. Parmi eux, on peut citer les points suivants (la liste n’est pas limitative) : le culte marial et contester le clergé se trouvent désacraliser (avec possibilité de mariage des pasteurs) l’autorité du « pape » n’est pas reconnue, le culte des saints est refusé, la cène n’est pas comprise comme transsubstantiation (le pain et le vin se transforme dans l’eucharistie en corps et sang de Jésus) mais interprété dans une perspective plus symbolique. Enfin, existe institution comme instrument de salut se voir relativité au profit de l’efficacité directe de la grâce divine, seule garante du salut des humains.

Parmi les points de doctrine révisés par les réformateurs, la question ecclésiale apparaît comme centrale. À tel point que les spécialistes de l’œcuménisme pensent aujourd’hui que même un accord sur la grâce ou sur le statut de la vierge ne mettrait pas fin au schisme catholique ou tirer protestant, tant les définitions respectives de l’église et du cléricat apparaissent éloignées . En catholicisme, du pape jusqu’au curé de campagne, un vaste édifice hiérarchique est chargé d’assurer la pérennité de l’église – institution.

En protestantisme, au contraire, il n’est pas de hiérarchie centralisée qui vaille, ni de clergé « à part » tout en admettant, à des degrés divers, une certaine stratification cléricale, les églises de la réforme ont privilégiés l’horizontalité des engagements, des ministères au nom du principe du « sacerdoce universel » qui rend à leurs yeux tout être humain « prêtre », capable de communiquer directement avec Dieu.

D’une manière générale l’impact anthropologique de la réforme se traduit par une autre façon de concevoir les rapports entrent-l’être humain, la société et le sacré. En substituant à l’autorité de la « tradition » le principe d’interprétation des écritures, le protestantisme est classiquement considéré comme un facteur d’émergence de l’individualisme moderne. Bien que Théocentré (soli deo gloria), il favorise l’autonomie de décision en relativisant tout « magistère » imposé, et valorise la subjectivité (mais sans en faire un absolu). Cette nouvelle anthropologie du croyant, qui a conduit Janine Garrrisson a consacré un ouvrage entier à « l’homme protestant » (1980) a longtemps nourri d’après controverse avec le catholicisme.

Les divergences entre les christianisme catholique et protestant ne doivent cependant pas être surévaluées. Le protestantisme ne s’est pas seulement construit en s’opposant). Il n’est pas un « catholicisme moins quelque chose ». Il a aussi développé une sensibilité une spiritualité, des doctrines et des traditions propres, dont le catholicisme a d’ailleurs de plus en plus tenu compte, aussi bien pour les contester que pour s’en inspirer. Depuis le concile de Vatican de clôturer en 1965, on ne saurait surestimer l’ampleur des rapprochements entre les deux courants du christianisme. Pour bien des protestants l’entrée de théologiens catholiques (neuf puis 12)

dans la commission foi et constitution du conseil œcuménique des églises (CO E), en 1968, marquant l’espoir que le souffle du concile ouvrirait les portes du COE à toutes les églises… À commencer par la plus importante d’entre elles. Si cet espoir a été, pour l’heure déçu

, de multiples « petits pas » ont été accomplis et accueillis avec chaleur par les acteurs protestants et catholiques de l’œcuménisme institutionnel. Le plus spectaculaire fut l’accord luthero- catholique sur la justification par la foi, signé le 31 octobre 1999 à Augsbourg . Impensable avant Vatican 2, cet accord controversé en temps d’élever une incompréhension séculaire sur un thème clé de la réforme luthérienne. Depuis, la gestion « « catholico centrée » du jubilé 2000 par l’église catholique a certes refroidi certains enthousiasmes œcuméniques. La déclaration Dominus iésus publiés durant l’année jubilaire par la congrégation pour la doctrine de la foi présidée par le cardinal Ratzinger heurta bien des sensibilités, notamment lorsqu’on y lit que l’église « continue à exister en plénitude dans la seule église catholique », les autres « églises » se voyant ravalé au rang de simple « communautés ecclésiales». Mais il reste flagrant qu’au niveau des communautés de base » les souvenirs des guerres de religion appartiennent à un lointain passé. Le développement exponentiel des célébrations communes de la « semaine universelle de prière » (du 18 au 25 janvier), popularisé par Paul Couturier, en est un exemple. Depuis 1966, le matériel de cette semaine est préparé conjointement par foi et constitution (du C OE) et des représentants catholiques désignés par le secrétariat romain pour l’unité, et on adopte un peu partout des versions communes d’une autre paire : c’est ainsi que les catholiques français passèrent dans leur adresse à Dieu du « vous » au « tu » (1966). Sans doute difficile pour certains catholiques, cet effort fut accueilli par les protestants tutoyeurs de Dieu » comme un pas considérable.

Dans le monde occidental de plus en plus sécularisé, la définition d’un protestantisme comme anti catholique ou « catholicisme inversé » apparaît plus caricaturale que jamais. Si des différences fortes se maintiennent, elles n’empêchent pas les uns et les autres de se retrouver dans une prière commune.

Martin Luther et les 95 thèses.

Les 95 thèses de Martin Luther sont entrées dans la légende. Elles sont considérées comme une étape fondatrice dans la naissance du protestantisme. C’est pourquoi le jour où elles ont été affichées a été choisies plus tard par les protestants pour instaurer la fête de la réformation, célébrée généralement le dimanche le plus proche de la date. C’est le 31 octobre 1517 (la date exacte et discutée) que Martin Luther, placard dore en plein midi un texte en latin sur la porte latérale du châteaude Wittemberg . En cette veille de Toussaint, il entendait condamner l’idée que l’on puisse acheter son salut par des indulgences. (Il faut exhorter les chrétiens à ce qu’ils suivent le Christ, leur chef à travers les tourments, la mort, et l’enfer est à entrer au ciel par beaucoup de tribulations (actes 14,22) plutôt que de se reposer sur la sécurité d’une fausse paix » (94è et 95è thèses) de ces formulations au protestantisme, il n’y a plus qu’un pas.

En contestant l’autorité institutionnelle de l’église, « dispensatrice de de biens de saluts » au nom de sa lecture de la Bible, il constitue à certain égard l’acte fondateur de la réforme. Dans ces thèses, on trouve en germe (à des degrés divers) les cinq grands principes autour desquels, plus tard les protestants se sont rassemblés :sola scriptura(l’écriture seule), solagracia(la grâce seule), sola fide(la foi seule), Eclesia reforma semper reformanda Est (l’Eglise de la réforme est toujours à réformer) et solideo gloria ) à Dieu seul la gloire)

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